L'Orgue Cavaillé-Coll

Retrouvez la description de l’orgue Cavaillé-Coll d’Argenton-sur-Creuse sur l’inventaire national des orgues

Son histoire

L'Orgue aujourd'hui

Ne restaurons plus les orgues romantiques

Depuis quelques années, un vif intérêt se fait jour en France comme à l’étranger, pour le facteur d’orgues parisien Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) ; une jeune association se donne pour but de faire connaître et de protéger son œuvre ; de nombreux articles, des ouvrages lui sont consacrés ; ses instruments sont classés monuments historiques ! Les modes se suivent et ne se ressemblent pas ; après un purgatoire de quelques dizaines d’années, la littérature romantique-symphonique française et son orgue sont à nouveau au goût du jour. Malheureusement, un grand nombre d’instruments ont été altérés.

Quelle est la place de l’orgue Cavaillé-Coll dans le monde de la musique ? Pourquoi ce facteur d’orgue a-t-il été si rapidement célébré dans le monde entier ?

 Avec leurs sonorités inédites, leurs solutions aux problèmes techniques, les premières réalisations de Cavaillé-Coll à Paris, à la basilique Saint-Denis, (1841) et à la Madeleine (1846) par exemple, offraient l’instrument radicalement neuf tant attendu et mettaient ainsi un terme à la grande crise du début du XIXè siècle.

César Franck, porté par ses sons, commença alors à élaborer son œuvre d’orgue, il fut suivi par Charles-Marie Widor, Louis Vierne et bien d’autres encore. Ainsi Widor écrivait en 1932 : « L’œuvre que notre Ecole a produite, je le dis sans réserve, c’est à la séduction de ses instruments qu’elle le doit. » Couleurs sonores donnant naissance à des œuvres, musique étroitement liée au son… vieille tradition française transmise de François Couperin à Olivier Messiaen ! C’est bien leur caractère harmonique qui permet à la musique et à l’instrument de s’unir ainsi intimement. Ainsi l’organiste, soucieux de ne pas trahir le monde sonore d’un compositeur, qu’il soit du XVIIIè ou du XIXè siècle, passe bien du temps à rechercher des solutions sonores approchantes sur des instruments d’une esthétique différente. Par contre, une fugue de Bach, idéale sur un instrument d’Arp Schnitker ou de Gottfried Silbermann, sonne d’une façon acceptable sur des instruments les plus divers, grâce à sa beauté intrinsèque.

Mais revenons-en à l’orgue Cavaillé-Coll. Ses caractéristiques ont conditionné l’écriture des compositeurs ; le grand chœur ou tutti, puissant mais rond, avec une dominante de sonorité anche, sonne bien dans l’aigu. Là, ils sont soutenus par les mixtures, les mutations et les jeux de fond ; ces derniers réalisant au contraire, après une sonorité douce et moelleuse dans le grave et le médium, un crescendo vers l’aigu. Les différentes familles de jeux se complètent dans le but d’une bonne homogénéité du grave à l’aigu. 

Aristide Cavaillé-Coll qui était un chercheur, un esprit inventif, a aussi doté ses instruments de particularités qui sont une des gloires, et non des moindres, de son œuvre. César Franck, en notant de façon très précise toutes les registrations de ses œuvres, avait bien compris que son orgue de Sainte Clotilde possédait des caractéristiques uniques : les claviers de grand orgue et de positif avaient, par exemple, une composition et une intensité presque identiques ; pour cette raison, Franck utilisait le Positif comme un second grand orgue. Par contre, le Récit, doux et poétique, était d’une intensité très petite ; on comprend alors le mélange unique dans l’Andante de la Grande pièce symphonique : cromorne, flûte et bourdon du positif accompagnés par les fonds, la trompette et le hautbois du Récit.

Ces différentes considérations montrent bien que l’orgue Cavaillé-Coll, avec toutes ses composantes, est un tout. Les différents éléments s’imbriquent les uns dans les autres. A l’origine d’une importante partie de la littérature d’orgue, il est un témoin artistique et artisanal d’une époque, d’un élément important du patrimoine national.

Mais au XXè siècle, entre les deux guerres, une profonde transformation esthétique a eu lieu dans le monde de l’orgue français. Les jeunes compositeurs ne semblaient pas inspirés par l’instrument de leurs pères. L’interprète qui découvrait la musique ancienne mais n’avait pas rejeté la littérature romantique et qui voyait naître les premières œuvres de Messiaen et de Jehan Alain, était en présence d’un vaste répertoire. Imaginer un instrument sur lequel il pourrait jouer l’ensemble de cette musique était une chose tentante. Un « Cavaillé » auquel on ajouterait tout ce qui lui manque pourrait peut-être réaliser cet idéal. C’était le point de départ de nombreuses « restaurations » d’orgues romantiques. Addition de mixtures, de mutations, transformation de la tuyauterie sont le coup de grâce » l’électrification de la transmission ! Avec ce genre de traitement notre Cavaillé a perdu son équilibre et son « pedigree » ; c’est un autre instrument sur lequel la littérature symphonique sonne d’une façon moins authentique ; les œuvres de Jean-Sébastien Bach y sonnent-elle mieux ? Nous ne le pensons pas car comme nous le disions plus haut, les caractéristiques de l’orgue de Bach et celles de l’orgue français sont radicalement opposées.

Gardons jalousement les rares Cavaillé intacts !

Soyons aussi très prudents en restaurant les instruments d’autres facteurs du XIXè siècle ; l’écrasant génie d’Aristide Cavaillé-Coll plaçait dans l’ombre ses confrères ; aussi les orgues de Merklin, de Debierre, les premiers instruments du successeur de Cavaillé-Coll, Charles Mutin, par exemple, sont dignes du plus grand respect.

Ne prétextons pas une restauration antérieure pour modifier encore plus ; un retour en arrière est souvent possible !

Ainsi, en certains endroits privilégiés, la littérature symphonique française, avec ses mélanges tour à tour mystérieux, sublimes, rutilants, sonnera d’une façon authentique.

Avec Rodin disons : « Au nom de nos ancêtres et dans l’intérêt de nos enfants, ne cassez plus et ne restaurez plus. »

Daniel Roth, Titulaire du Grand-Orgue A. Cavaillé Coll de Saint Sulpice à Paris.